(Allez voir le Billet :: "Mise au point ....", si vs avez des soucis pour écouter les morceaux de musique )
"J'essaie de prendre les choses que nous trouvons tous vraiment désagréables
et de les montrer dans tous leurs désagréments."
Il faut admettre que le bonhomme porte beau la barbe et qu’il n’est que délicatesse et douleur tendre dans un monde de brutes.
Keaton Henson est né à la fin des années 1980. À l'école, il était ce gamin étrange qui dessinait
des images étranges dans un cahier dans un coin du terrain de jeu et écoutait des groupes hardcore dans le bus.
Ses héros étaient alors des artistes et illustrateurs comme Edward Gorey; ses héros sont maintenant
des auteurs-compositeurs comme Randy Newman et Loudon Wainwright.Tous les trois révèlent le genre d'artiste
que Keaton s'efforce d'être: quelqu'un qui comprend le pouvoir de l'honnêteté, même sans cœur,
et comment seul cela peut rendre son art vraiment sincère.
Le premier album de Keaton Henson " Dear " ..., est sorti à la fin de l'année 2010, dans une édition limitée,
réalisée à la main par Keaton.Il s'agissait de chansons simples et tendres, mises à nu
et écrites sans l'envie de se faire entendre ... bien qu'elles se soient vendues presque immédiatement.
Son album suivant, Birthdays, va encore plus loin. Écrit et enregistré en moins d’un an,
il se caractérise par une ténacité tout au long des anniversaires, ce qui permettra de relever les défis
de l’amour retrouvé et nouvellement perdu. C'est le son de ce qui se passe ensuite,
une fois que votre agonie privée est rendue publique du jour au lendemain.
Et à plus d'un titre, Birthdays présente les dangers d'obtenir ce que vous souhaitiez.
Ecoutez : " Teach Me "
Un des immenses trésors cachés de 2013 ressort enfin dignement : Birthdays,
chef-d’oeuvre de musique romantique et empoisonnée d’un homme qui vit dans sa chambre, au XXIe siècle.
Critique et écoute.
"Je n’aime pas m’entendre”, murmure le frêle Keaton Henson.
C’est bête : je suis comblé par sa voix, depuis la découverte en début d’année de son second album Birthdays,
qui ressort enfin avec les honneurs dûs à son rang. Un album qui mêle le goût des audaces
et fugues d’un Jeff Buckley – qu’il vénère – et le sens mélodique ombrageux et amer
d’un Elliott Smith – un autre héros. “J’aime la façon dont le chant de Jeff Buckley est constamment
au bord des larmes mais maîtrise ses émotions.”
Alternant chuchotements et stridences,Birthdays
a été amoureusement affiné par Joe Chiccarelli (White Stripes, The Shins…). Il reçoit la visite feutrée
de membres de Band Of Horses, des Raveonettes, d’Alberta Cross et même de Pearl Jam.
“Ne me faites pas de mal / Je suis trop fragile / Ne brisez pas mon coeur / Il en a assez vu”,
chante Keaton Henson en début d’album, et chacun a respecté cette solitude, jusqu’à s’effacer,
jusqu’à murmurer, jusqu’à n’enrichir ces chansons que du bout des doigts – d’or.
Ecoutez ; " 100Am, Gare du Nord"
L’Anglais n’aime tellement pas le son de sa voix que, jusqu’à présent,
il n’a quasiment accordé aucun entretien, répondant par écrit aux questions, par des dessins à l’humour tordu.
Pourtant, Keaton Henson parle aussi, de la voix douce, triste et pourtant enjouée, étonnamment claire
même s’il la cache dans sa barbe, qui fait la fortune de ses chansons.
“Cette voix trop frêle, j’ai essayé de m’en débarrasser, de lui trouver d’autres registres… J’ai tout tenté
jusqu’à ce que je me rende compte que les chanteurs que je préférais chantaient comme ils parlaient.”
Ces chanteurs, que le Londonien idolâtre dès 15 ans, ne sont pas de son âge.Ils chantent la condition
de mâle adulte avec une cruauté, une dérision et une précision qui parlent à ce gamin déjà à part,
élevé parmi les adultes et rétif au cirque social. “J’ai bien essayé de jouer dans des groupes,
mais c’était contre nature. J’aime ma propre compagnie, fermer la porte… Je lis beaucoup
de choses sur l’histoire, la seule matière qui me passionnait à l’école.
Je ne sors pas souvent de chez moi, une partie de moi vit au XIXe siècle, dans les livres de Shelley ou Keats
… Et pourtant, j’aime aussi la foule, cet anonymat de Londres, y semer enfin mes fantômes, comme disait Dickens.”
Ecoutez ici :: " You "
Attaqué de toutes parts quand il sort (crises de panique et d’anxiété, catalogue de phobies…), Keaton Henson
partage sa chambre/refuge entre son artisanat de chansons et ses illustrations.
Des oeuvres torturées et parfois comiques, qui évoquent autant Gustave Doré que David Shrigley.
Sans le savoir, on a d’ailleurs connu l’illustrateur avant le chanteur, quand il vendait à la marque Top Shop
une gamme très absurde et sombre de T-shirts (“J’avais besoin de me payer un nouveau micro”) ou
concevait des pochettes de disques pour des groupes comme Enter Shikari ou Dananananaykroyd.
Ecoutez Ici :: " Lying To You "
C’est dans le va-et-vient entre ces disciplines que Keaton Henson a trouvé son salut.
“Si je n’avais pas cette soupape, ces issues de secours vers l’évasion, je deviendrais fou.
Je ne peux écrire que lorsque je suis apaisé, ce qui est rare… Les mots, c’est ce qui compte,
leur son, leur sens : je suis juste chanteur pour les incarner. Mais quand ils ne viennent pas,
je me réfugie dans le dessin. Je dois plonger très profond en moi pour les mots, alors que pour le dessin
je suis plus tourné vers l’extérieur, l’observation. J’ai toujours été un rêveur. Gamin,
je ne pensais qu’à des choses très sombres, auxquelles je tentais d’injecter de la magie…”
On a eu de la chance : on aurait pu ne jamais entendre Keaton Henson, qui n’avait pressé
son premier album, Dear, qu’à un seul exemplaire, pour une jeune femme à qui il envoyait ainsi une longue lettre,
brute et éperdue. “Je lui ai chanté ce que je n’aurais jamais eu le courage de lui dire. De toute façon, je ne parle à personne
… Emotionnellement, je suis sans doute un peu handicapé. Les chansons m’aident beaucoup à m’exprimer,
à faire sens dans le chaos qui agite mon cerveau.”
La jeune femme, secouée, ne peut garder un tel secret pour elle seule.
Elle fait tourner ces chansons, qui trouvent un label et condamnent Keaton Henson à une nouvelle gamme
d’angoisses et de paniques : il faudra faire de la scène. Très peu, principalement dans des musées ou des églises.
“Des endroits intimidants, solennels, où le public ne se sent pas à l’aise. Nous sommes sur un pied d’égalité
si les gens semblent indisposés, en larmes même.” Il faudra sans doute attendre novembre pour le voir à Paris.
“Le seul moment que j’adore dans un concert, c’est quand je quitte la scène. Mais ça fait partie des démons
que je dois exorciser”, sourit-il. On va commencer à faire la queue :
pour être au premier rang, pour prendre en pleine face ses murmures.
Ecoutez Ici :: " Kronos "