Woodrow Wilson Guthrie, alias Woody Guthrie, chanteur engagé et contestataire.




0238 [320x200fracas].jpg

                        Puisque la vie n'avait rien d'autre que des crises à offrir, il fallait s'inventer un avenir. Partir

Goguenard, béret de travers, clope au bec, Woody Guthrie se frayait son propre chemin, loin des mondanités et des tentations de reconnaissance
convaincu que ses semblables, un jour, feraient ravaler leurs méfaits à tous les patrons de ce monde...
« Eh, Woody Guthrie, je t’ai écrit une chanson Sur un étrange vieux monde qui poursuit sa course Il semble malade, affamé, fatigué, déchiré 
On dirait qu’il se meurt, mais il vient à peine de naître. » Bob Dylan, « Song to Woody » 
« Les gens m’aimaient, me détestaient, marchaient avec moi, me marchaient dessus, me criaient haro ou bravo, me louaient 
ou me huaient, et bientôt j’avais été invité et vidé par chaque lieu de distraction public qui existe dans ce pays. 
Mais je décrétai que les chansons étaient une musique et un langage sans frontières. » 
 Woody Guthrie, En route pour la gloire


Woody Guthrie, tu aurais aimé ( moi aussi ) le rencontrer au bord d’une route poussiéreuse écrasée de chaleur, sa chemise à carreaux 
empesée de sueur et ses traits tirés de fatigue. Il t’aurait salué de sa voix traînante d’Okie et t’aurait traité en camarade de galère, simplement, 
sans en faire des tonnes. Vous auriez peut-être partagé quelques gorgées d’un vin fortifié bon marché, du Thunderbird par exemple, 
puis quelques tranches de pastèque pour faire passer l’infâme goût de l’assommoir made in USA, 
avant de repartir chacun de votre côté. Ou bien, l’humeur s’y prêtant, vous auriez taillé la route ensemble pendant quelques jours, 
poussant lentement, à pied, en stop ou en wagon de marchandise vers la Californie, les Appalaches, Des Moines ou le Minnesota... Freewheelin’
Le soir, au coin du feu, vous auriez englouti un frugal repas avec quelques traîne-savates du même acabit, des ivrognes, des pauvres hères
des malchanceux, des fugueurs, ceux-là mêmes qu’il décrivit si bien dans son autobiographie (partiellement romancée) En route pour la gloire
« Je m’assis le dos contre le mur, observant ces hommes tourmentés, enchevêtrés, désordonnés. Voyageant à la dure. Habillés à la dure. 
Partis pour une sacrée longue solitude. Plus rugueux qu’un épi. Plus sauvages qu’un bâton. […] Discutant pire qu’un arbre bourré de pies. 
En désordre. Des gens désorientés, opprimés. » Au vrai : son public favori. Si bien qu’il aurait sorti sa guitare ornée de sa célèbre 
inscription balistique – « This guitar kills fascists » – et entonné quelques classiques de la hobo-sphère repris en cœur par la troupe avinée. 
Un matin, au réveil, malheur, il aurait décampé sans demander son reste, dans un nuage de poussière. La route ce jour-là aurait été plus rude, 
diminuée de sa présence, orpheline. Un seul Woody vous manque et tout est déplumé.



dt_woody_guthrie_0907 [320x200fracas].jpg


Difficile de le nier, surtout au regard de ce qui précède : Woody Guthrie invite aux poncifs, aux envolées lyriques teintées de ce sépia nostalgique 
qu’arborent tant de grandes figures américaines du XXe siècle. Yep, il est difficile de trouver quelqu’un plus solidement arrimé 
à l’imaginaire ricain du vagabond insoumis. Il y a du Huckleberry Finn dans sa trajectoire.
Louons maintenant les grands hommes ! , du Boxcar Bertha, du Kerouac et du Steinbeck. Né en 1912 à Okemah, dans l’Oklahoma ,doublement Okie donc , 
Woody Guthrie est très vite jeté sur la route par la Grande Dépression qui ravage sa région natale, cette catastrophe si puissamment contée dans Les Raisins de la colère. 
« Je voulais être mon propre patron », écrivait-il dans En route pour la gloire. « Avoir mon propre boulot quel qu’il soit et me débrouiller tout seul. » 
Dont acte : alors qu’ils sont des millions à vagabonder sur les routes, en quête d’un boulot, d’un refuge, d’un salaire, 
lui se fait très vite troubadour, chanteur itinérant dénonçant la misère, les patrons voyous et leurs milices ; tout en encensant les syndicats, 
les luttes sociales, les étincelles venues du peuple ( un Mélenchon sans guitare...! ). Partout où il débarque, en Californie ou à New York, 
il a en stock des chansons adaptées aux luttes du moment, des ballades remontées. Un avion rempli de Mexicains expulsés s’écrase 
dans l’indifférence générale ? Il dégaine « Deportee (Plane Wreck at Los Gatos) », égrainant les noms des victimes, qu’il n’enregistra jamais, 
au contraire du grand Cisco Houston. Les fascistes gagnent du terrain en Europe . Il balance « All You Fascists Bound to Loose », pour leur annoncer 
qu’ils vont se faire marave sévère. L’activiste Tom Mooney est libéré après avoir durablement croupi en prison sous de fausses accusations. 
Il compose d’une traite « Tom Mooney is Free », pour clamer que « La vérité ne peut-être entravée par une chaîne ». 
Et quand il participe avec Alan Lomax et Pete Seeger à la confection d’un recueil de chansons sur les luttes populaires, 
le titre choisi ne prend pas de gants : Hard Hitting Songs for Hard Hit People, soit, plus ou moins, Des chansons qui frappent fort pour ceux qui en prennent plein la gueule.



Fichier vidéo intégré



Bref, un battant cognant fort après avoir trop encaissé. Qui n’aura de cesse de parcourir le pays, fendant la misère les yeux grand ouverts, 
vagabond dans l’âme. Dans "Like a rolling stone" ; Bob Dylan à la croisée des chemins, Greil Marcus le définit comme 
« le troubadour des dépossédés, le poète de la Grande Dépression, le fantôme de la route américaine, un homme balayé par le vent et fait de poussière ». 
Une « poussière » qui lui colle bigrement à la peau dès qu’il s’agit de l’évoquer. Comme si le sang palpitant dans ses veines avait peu à peu été contaminé 
par les débris de la route, chargé de scories vagabondes. Le premier chapitre de son autobiographie en regorge d’ailleurs littéralement, 
de cette poussière mauvaise piquant les gorges, saturant les poumons, entravant l’horizon et « volant dans l’air comme si on était en train 
de la déverser avec des camions ». Il faut dire qu’outre celle de la route, il connaît très jeune celle charriée par le terrible phénomène du Dust Bowl
ces tempêtes de poussière semblables aux plaies d’Égypte ravageant les Grandes Plaines américaines et ruinant des milliers de fermiers. 
Un phénomène écologico-économique, lié autant à la sécheresse qu’au sur-labourage et à l’érosion qu’il entraîne. 
Leurs fermes et récoltes ensevelies, les familles de fermiers font leurs baluchons avant de rejoindre le ruban gris que Steinbeck appelait la « route mère » 
cette Road 66 ouvrant sur l’Ouest. Pour l’Oklahoma natal de Woody, c’est 15% de la population qui est ainsi jeté sur les routes. 
Adieu veaux, vaches, cocon ; bonjour exil, misère, rejet. « Ensevelies nos clôtures, ensevelies nos granges / Ensevelis nos tracteurs, par cette tempête de poussière sauvage 
/ On a chargé nos guimbardes et empilé nos familles à l’intérieur, / On s’est jeté sur cette autoroute pour ne plus jamais revenir7. », chante-t-il dans "Dust Storm Disaster "


Fichier vidéo intégré



Woody Guthrie a consacré un album entier à cette catastrophe, Dust Bowl Ballads, enregistré à New York en 1940. Des chansons simples, touchantes, 
dépeignant sans en rajouter le terrible destin des exilés économiques : « Je suis un réfugié du Dust Bowl, / Et je me demande si je resterai toujours 
/ Un réfugié du Dust Bowl », geint-il doucement dans « Dust Bowl Refugee », chanson intemporelle qui s’appliquerait tout aussi bien aux jours actuels et à leurs persistants relents d’exclusion.



Fichier vidéo intégré


Si les compositions de Woody traversent si bien le temps, c’est parce qu’elles ne s’embarrassent pas de chichis. Une guitare, quelques accords, 
des paroles simples et acérées, et les voilà lancées. « Par dessus tout, les chansons de Woody ont le génie de la simplicité
N’importe quel imbécile peut être compliqué, mais il faut du génie pour atteindre la simplicité »
écrivait son ami et camarade de lutte Pete Seeger. Au fond, ce qu’il y a de plus sympathique dans la figure de Woody Guthrie, c’est sans doute sa modestie
Ce côté rustique mis en avant, assumé, revendiqué comme un gage d’honnêteté. « On va montrer à ces fascistes ce qu’une bande de péquenauds peuvent faire », 
lâche-t-il, rigolard, en introduction de " All You Fascists Bound to Loose ". Comme si la solution n’allait pas venir d’une posture théorique élitiste, 
mais plutôt d’un bon sens populaire qui finirait forcément par triompher. Goguenard, béret de travers, clope au bec, le petit barde se frayait son propre chemin, 
loin des mondanités et des tentations de reconnaissance, convaincu que ses semblables, un jour, feraient ravaler leurs méfaits à tous les patrons de ce monde.



GuthrieDylan [320x200fracas].jpg


Rétrospectivement, le constat semble un brin naïf (quoique...). Mais c’est aussi ce qui fait sa beauté. Malgré tout les motifs de déploration, il restait habité ( ce n'est pas sale...) 
par l’idée d’un avenir scintillant – « Je déteste quand une chanson vous fait croire que vous êtes né pour perdre », martelait-il. La Grande Dépression avait frappé, 
il avait assisté , de loin, en tant que matelot, aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale, il avait frôlé en victime la folie du maccarthysme
mais qu’importe : il ne lâchait pas l’espérance. Car les combats de Woody et de ses pairs s’inscrivaient dans des certitudes inébranlables, 
dont celle qu’ils allaient gagner, vu qu’ils étaient du bon côté de la barrière. Évoquant les années 1930 telles que Guthrie les lui avaient contées, 
le très jeune Bob Dylan expliquait ceci en 1963 : « Je ne sais pas comment on en est arrivés là, mais cela ne semble plus si simple. 
Il n’y a plus seulement deux camps, vous voyez ? Le temps du noir et blanc est fini. »


Fichier vidéo intégré


De l’eau a coulé sous les ponts. Des hectolitres bien vaseux. Woody Guthrie n’est pas totalement entré dans la mémoire universelle, 
contrairement à la légende Dylan, beaucoup plus sophistiquée, fascinante de génie, et aussi , il faut bien l’avouer, moins répétitive. Et s’il est permis de rire jaune 
devant le constat formulé par Dylan en 1963 – qu’aurait-il dit s’il avait eu 20 ans aujourd’hui plutôt que dans les sixties ? , 
il est aussi permis de saluer bien haut la mémoire du sieur Woody Guthrie. On peut d’ailleurs reprocher beaucoup de choses à Dylan
sa suffisance légendaire, son virage chrétien ( oups ), une flopée d’albums moyens, mais il y a un élément qu’on ne pourra jamais lui retirer 
(outre une myriade de disques débordés par la grâce), c’est sa dévotion maintes fois confirmée envers son maître Guthrie.



guthrieposter.jpg


Alors que ce dernier se mourait dans un hôpital de la côte Est, grignoté par une maladie dégénérative, un Dylan encore juvénile lui rendit de multiples visites
« Woody me demandait toujours de lui rapporter des cigarettes, des Raleigh », écrivait Dylan dans ses Chroniques, 
avant d’évoquer sa profonde tristesse à voir son héros si diminué. Pour évacuer cette tristesse, tenter de lui remonter le moral, 
il lui chantait des chansons. Aussi bien les siennes que celles de l’homme alité. Parmi ses propres compositions, 
celle qui serait enregistrée sur son premier album, "Song To Woody", magnifique hommage et troublant passage de flambeau : 
« Je te chante cette chanson, mais je ne la chanterai jamais assez, / Car ils sont peu nombreux les hommes, / À avoir fait ce que tu as fait. »



Fichier vidéo intégré


Quant à la reprise que fait Dylan de "Pastures of Plenty ", entonnée d’une voix douce sur un enregistrement peu connu, alors qu’il est très jeune, 
elle charrie avec elle toute la beauté de l’univers de Woody. Une tristesse fondamentale, mais également un émerveillement devant ces « pâturages d’abondance », 
la bonté de la terre nourricière et sa beauté, la fierté du labeur accompli et des mains crevassées d’ampoules. 
Toutes choses que Woody avait également chantées dans "This Land Is Your Land ", mais de manière moins subtile. 
Ici, la musique se fait route, façonne des paysages, des montagnes, des ruisseaux insoumis, des forêts de poings levés. 
                    L’essence même de Woody Guthrie.



Fichier vidéo intégré



Fichier vidéo intégré



This Machine Kills Fascists - Woody Guthrie, two guitars-8x6 [320x200fracas].jpg


Fichier vidéo intégré
Fichier vidéo intégré





woody_guthrie [320x200fracas].jpg



                           Woody Guthrie ::: né le 14 juillet 1912 à Okemah, mort le 3 octobre 1967 Oklahoma