Le chanteur-bassiste John Wetton est décédé il y a cinq Jours à l’âge 67 ans.
Parmi les chanteurs qu'a engendré la scène progressive, peu nombreux sont ceux qui ont réussi à susciter
un attachement affectif si profond chez leurs amateurs que ceux-ci lui restent fidèles ( et j'en fait partie...)
même si leur affiliation au genre musical en question n'est plus qu'un lointain souvenir.
John Wetton est peut-être le plus remarquable de tous, car le chanteur se double en l'occurrence d'un instrumentiste
parmi les plus doués à être apparus dans les années 70.
Ainsi, plus encore que des grandes voix comme Peter Gabriel ou Fish,
pourtant plus marquants à bien des points de vue (ne serait-ce que comme paroliers),
John Wetton reste indéfectiblement lié, dans notre inconscient collectif, à un mouvement musical qu'il a,
sans pour autant le renier, en tout cas cessé depuis longtemps de défendre.
D'un point de vue purement technique,
John Wetton n'est pas ce qu'il convient généralement d'appeler un 'grand chanteur'.
Mais ses limites, ont ceci de remarquable qu'elles jouent finalement en sa faveur, conférant à son chant une fragilité très touchante,
l'impression d'une émotion à fleur de peau - en quelque sorte l'opposé de la morgue toute britannique d'un Greg Lake (son éternel frère ennemi).
Bref, un contrepoint profondément humain à une musique qui, dans les cas de King Crimson et UK,
pouvait risquer une certaine sécheresse émotionnelle du fait de son avant-gardisme et sa complexité.
John Wetton a longtemps attendu son heure, sans forcément savoir d'ailleurs si elle viendrait un jour et sous quelle forme.
Si l'on voit aujourd'hui en lui, bien plus que le bassiste, le chanteur, ce talent est longtemps resté marginal :
une corde supplémentaire à son arc, appréciée de ses employeurs sans que ceux-ci y voient plus qu'un appoint vocal.
De même, l'auteur-compositeur ne s'est pas, loin s'en faut, imposé d'emblée : Wetton compose rarement seul,
fournissant des ébauches à ses collaborateurs qui ont en charge d'en tirer un produit fini; et il préféra longtemps
faire appel à son vieil ami Richard Palmer-James pour en écrire les textes.
On peut donc supposer légitimement
qu'en conviant en 1972 John Wetton à rejoindre sa nouvelle formule de King Crimson, Robert Fripp voyait surtout en lui un bassiste accompli
et créatif capable de se prêter à des démarches musicales audacieuses. La place du chant à cette époque de la carrière du groupe fut d'ailleurs mineure,
et celle de la composition limitée par le recours intensif à l'improvisation collective. Les morceaux les plus mémorables de ce King Crimson
sont d'ailleurs pour la plupart instrumentaux, qu'il s'agisse des deux volets de «Larks' Tongues In Aspic», de «Fracture» ou
de «Red», le magnifique «Starless» étant l'exception même si cette pièce est elle aussi en grande partie instrumentale.
King Crimson n'en fut pas moins le marchepied du
Wetton chanteur, qui n'avait eu jusque là que peu d'espace pour s'exprimer.
Après avoir quitté Bournemouth pour Londres à la fin des années 60, il avait exercé successivement ses talents au sein de Mogul Thrash,
groupe fondé par l'ex-guitariste et chanteur de Colosseum, James Litherland, et Family, formation au caractère progressif
plus affirmé mais servant prioritairement la personnalité hors du commun de son chanteur Roger Chapman.
Deux groupes où Wetton se voyait limité de fait à son emploi de faire-valoir, sans réel espoir d'influer substantiellement sur la direction musicale du groupe.
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En fait, pendant toutes les
années 70, John Wetton restera considéré par ses pairs avant tout comme
un bassiste, comme en témoigneront
ses brefs séjours chez Uriah Heep ou Wishbone Ash, au sein desquels sa contribution vocale sera des plus limitées,
ou plus encore de sa participation quasi anonyme à Roxy Music ou au groupe de scène de Bryan Ferry. Mais il y a fort à parier qu'à l'époque,
Wetton lui-même n'avait qu'une confiance limitée en ses capacités de chanteur et, surtout, d'auteur et compositeur de chansons.
Il faudra attendre Caught In The Crossfire (1980), son premier album solo, pour qu'il fasse montre en ce domaine d'un peu plus que de vagues velléités.
L'épisode de
UK marque à bien des égards une étape de transition entre
Wetton «bassiste qui chante» et
Wetton «chanteur qui s'accompagne à la basse». Il le vit aussi abandonner peu à peu le rock progressif dont il était jusqu'alors un défenseur acharné,
pour aborder des territoires musicaux résolument pop. C'est ce qui le séparait alors de son acolyte Eddie Jobson,
quant à lui partisan d'une direction purement progressive, et c'est d'ailleurs quelque part dans ce fossé
de plus en plus large séparant les deux hommes que naquit le style UK, mélange souvent explosif, parfois plus déconcertant,
de parties chantées aux mélodies accrocheuses et d'envolées instrumentales virtuoses.
Après avoir eu raison, au bout de quelques mois, de la première formule du groupe (avec Bill Bruford et Allan Holdsworth),
ces divergences feront la force de UK sur son second album, Danger Money, tout à la fois mélodique et recherché,
même si un titre comme «Nothing To Lose» préfigure, avec son refrain facile, le travail de Wetton au sein d'Asia.
Caught In The Crossfire inaugure la nouvelle décennie et une nouvelle étape de la carrière de
John Wetton :
lorsqu'à la fin de cette année-là, il se joint brièvement aux Français d'Atoll, c'est pour créer avec eux une musique assez commerciale,
peu évocatrice de leurs passés respectifs, comme en témoigne la démo enregistrée à l'époque, où l'on trouve d'ailleurs
une première version de «Here Comes The Feeling». La voie est toute traçée pour le lancement, en 1982, du 'supergroupe' Asia.
«Coup» marketing auquel personne ne croyait à part David Geffen, patron du label portant son nom,
cette réunion d'ex-stars du rock progressif anglais allait pourtant caracoler en tête des ventes d'albums mondiales de l'année,
écoulant quelque neuf millions d'exemplaires de son opus éponyme.
Mais
cette célébrité trop longtemps rêvée va se révéler être un cadeau empoisonné :
le second album d'Asia,
Alpha , marche beaucoup moins bien que son prédécesseur, et Wetton a du mal à supporter la pression qui pèse sur lui.
Fin 1983, il est évincé du groupe par son management, brièvement remplacé par Greg Lake le temps de quelques concerts au Japon,
puis rappelé pour un troisième opus, Astra(1985). A ce moment, Steve Howe n'est déjà plus de la partie :
frustré d'avoir été mis à l'écart de l'écriture du deuxième album, il est parti pour d'autres horizons...
En 1986, Asia se dissout dans l'amertume, et commence alors pour John Wetton une longue traversée du désert.
Il enregistre un album en duo avec son vieux complice Phil Manzanera (dont il avait participé à plusieurs albums solo),
mais celui-ci ne connaît aucun retentissement, sans doute parce que Wetton n'est pas disponible pour le promouvoir lorsqu'il sort :
il semble qu'en 1987-88, celui-ci ait touché le fond, sombrant dans la dépression et la boisson ( et un de plus....).
La proposition de reformer Asia pour une tournée pendant l'été 1989 viendra à point nommé pour l'en sortir.
Suivront deux années de concerts réguliers qui ne déboucheront cependant pas sur un nouvel album :
en 1991, la rupture entre Wetton et Downes, qui choisira de continuer sans son alter-ego, est consommée...
Le Bonus du Jour avec Ken Hensley, ex leader du Groupe Uriah Heep ::::
GOODBYE John WETTON